lundi 26 mars 2018

Le rôle administratif de Messieurs les Curés sous l'Ancien Régime

Dans ma hâte à dénicher les actes de mes ancêtres, j'ai souvent négligé les pages de garde des registres paroissiaux. Elles sont pourtant intéressantes à plus d'un titre, pour peu qu'on prenne la peine de les déchiffrer.

AD Maine-et-Loire, Concourson-sur-Layon
Registre BMS 1743-1792 (vue 340/442)

Je vous propose celle qui ouvre l'année 1784 du registre de Concourson, dans le futur (à l'époque) département du Maine-et-Loire. Attention ! N'allez pas trop vite, sinon vous risquez de penser que nos ancêtres avaient tous un cheveu sur la langue : "Meffieurs les Curés font priés…", lisez-vous ? La lettre s imprimée au début ou dans le corps d'un mot ressemblait alors étrangement à la lettre f, je vous l'accorde ; il faut lire "Messieurs les Curés sont priés", bien entendu.

L'en-tête ou le chapeau

Mais commençons par la partie supérieure de la page. Le texte fait référence à trois documents qui règlementent la tenue des registres paroissiaux :
  • L'Ordonnance de 1667,
  • La Déclaration du 9 avril 1736,
  • La Déclaration du 12 mai 1782.

 L'Ordonnance de 1667, dite Ordonnance de Saint-Germain-en-Laye, a été promulguée par Louis XIV. Elle instaure la tenue des registres en double exemplaire, une minute conservée dans la paroisse et une grosse déposée au greffe dans les six semaines qui suivent la fin de l'année. Ce qui expliquerait que certaines collections communales ne débutent parfois qu'à cette date.

La Déclaration du 9 avril 1736 est une lettre circulaire de Louis XV. Elle précise dans le détail la tenue des registres et les mentions que doivent contenir les actes qui y sont inscrits : jour de la naissance, présence du père au baptême, ondoiement, âge et qualité des mariés, liens de parenté des témoins, tutelle, curatelle, jour du décès, etc. Une obligation qui ne peut que réjouir les généalogistes, quand elle est respectée.

Enfin, la Déclaration du 12 mai 1782 a été promulguée par Louis XVI à Versailles : elle défend aux curés et aux vicaires d'insérer dans les actes de baptême "aucunes clauses, notes ou énonciations autres que celles contenues dans les déclarations de ceux qui auront présenté les enfants au baptême". Cette interdiction viserait notamment les indications relatives à l'appartenance à la religion réformée, mais sans doute également la filiation des enfants illégitimes.

L'avertissement

L'avertissement qui figure dans la partie inférieure de la page, et qui est donc adressé à "Messieurs les Curés", porte plus précisément sur le rôle administratif de ces derniers. Il tient en cinq points :
  • La publication des édits, déclarations, arrêts et règlements émanant du roi et de ses représentants,
  • Le rappel de dispositions d'ordre public,
  • La lecture trimestrielle de l'Édit de Henri II de février 1556,
  • Le dépôt annuel d'un exemplaire des registres paroissiaux au greffe du baillage ou de la sénéchaussée,
  • L'invitation à récupérer les textes administratifs évoqués dans le premier point auprès de "MM. les Procureurs du Roi & Fiscaux".

 Voilà donc, avant l'heure, nos curés en charge du Journal officiel dans leur paroisse !

Le deuxième point ne manque pas de sel non plus. Il s'agit de rappeler chaque année aux paroissiens "les dispositions, notamment de ceux qui concernent la sûreté publique, la conservation des fruits(1), la clôture des héritages(2), l'échenillage(3), le pâcage des boucs, chèvres, moutons & autres bestiaux, la police des foires et marchés, les assemblées et fêtes baladoires(4), les glaneries(5)…" De quoi, au passage, enrichir notre vocabulaire.

Le troisième point est bien connu des généalogistes : l'Édit de Henri II avait instauré la présomption d'infanticide en cas de mort d'un enfant illégitime non baptisé et, partant, la pendaison pour la mère veuve ou célibataire qui n'aurait pas déclaré la grossesse ou l'accouchement. Les curés et vicaires devaient le rappeler quatre fois par an au prône de la messe paroissiale.

Il convient de noter que, contrairement à ce qui est parfois énoncé de façon un peu rapide, la déclaration de grossesse n'était pas obligatoire au sens strict du terme, si la grossesse n'était pas cachée. Elle pouvait néanmoins protéger les femmes dans cette situation contre le zèle excessif de la justice.

Dans les registres paroissiaux de Concourson, ce long texte imprimé figure sur la page de garde des années 1783 à 1790. Je le retrouve également, durant la même période, dans d'autres paroisses du ressort de la sénéchaussée de Saumur.


Sources

Le Mée René. La réglementation des registres paroissiaux en France. In : Annales de démographie historique, 1975. Démographie historique et environnement. pp. 433-477 http://www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_1975_num_1975_1_1296

(1) À comprendre au sens large de protection des récoltes, je suppose, et non pas de préparation de confitures !
(2) Les barrières autour des propriétés, vraisemblablement.
(3) Action de débarrasser les arbres et les plantes des chenilles. 
(4) Fêtes populaires où se pratiquent les danses du même nom, considérées comme licencieuses.
(5) Ramassage des épis restés dans les champs après la moisson.

1 commentaire:

  1. Très bonne remarque concernant les registres paroissiaux ! Je note également qu'il y a aussi très souvent des feuilles intercalaires qui peuvent apporter d'autres informations, pas forcément sur la paroisse, mais sur le contexte historique et local.

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